Happycratie

Dernierement, j’ai lu Happycratie d’Eva Illouz et Edgar Cabanas. Cet essai critique l’injonction au bonheur déployée par la psychologie positive.
Créée dans un but purement capitaliste, elle postule que le bonheur « se construirait, s’enseignerait et s’apprendrait ». Cette quête faisant de nous des « happycondriaques » justifierait l’achat perpétuel de marchandises censées nous aider à nous connaitre, nous améliorer et améliorer notre qualité de vie. Si
nous ne sommes pas heureux·se, ce serait de notre faute car la richesse, la pauvreté, le succès, l’échec, la santé, la maladie seraient de notre seule responsabilité. Ainsi focalisée sur soi, l’attention de l’individu est détournée des enjeux sociétaux.

La psychologie positive nous apprendrait à maitriser voir étouffer nos émotions dîtes « négatives » pour mettre en avant nos caractéristiques « positives » développer notre capacité d’adaptation, faire preuve de résilience afin d’être toujours plus productif·ve.
Les scientifiques du bonheur ont également inventé le concept de développement post-traumatique qui n’est qu’une formalisation de l’adage « ce qui ne tue pas rend plus fort » (équivalent du « no pain no gain ») et qui est un excellent moyen de faire porter le poids de la santé collective sur l’individu (soin, services publiques…). Ce concept nous pousse à abandonner notre vulnérabilité et notre humanité.

La science du bonheur est validiste, raciste et classiste. Elle nie les inégalités sociales, les injustices et les déterminismes sociaux, en partant du principe que nous serions toustes pourvu·es d’un même mécanisme psychologique et que nous disposerions toustes des mêmes chances.
Aujourd’hui, la psychologie positive est reprise par la classe politique pour justifier ses lois néolibérales en s’appuyant sur les enquêtes d’opinions articulées autour de la notion de bonheur. Elle imprègne nos espaces communs (travail, école, hôpital, commerce…) tout en nous poussant à l’individualisme.

Ces dernières années nous avons vu l’essor d’offres censées améliorer nos vies : soins, coaching, alimentation heathy, cristaux, méditation, yoga, retraites, palo santo et / ou sauge (en plus de céder à la purification à tout va des énergies dite « négatives » en s’appropriant une culture qui n’est pas la notre, leur surexploitation est un désastre sur le plan écologique et économique pour les premières nations qui les utilisent), tarots, oracles, magie… Ce qui nous pousse à questionner son efficacité.

Pour ma part, je me suis intéressée à la psychologie positive en 2015 en espérant m’aider à surmonter mon deuil, mon anxiété et mes douleurs chroniques.
J’ai très vite rencontré sa limite : La pression à l’amélioration de soi toujours grandissante. J’ai fini par croire que j’étais une personne incomplète. C’est une des raisons qui m’ont d’ailleurs menée au tarot. Le shadow work à la mode, j’ai plongé tête baissée dans l’optique de dynamiter ce que j’estimais être limitant. Afin d’épurer, de policer et devenir cette « meilleure version de moi-même ».

Ce sont les milieux militants qui m’ont apporté d’autres clés de compréhension sur le bien-être. Si ce dernier mérite d’être pris au sérieux, ce n’est pas seulement en améliorant nos vies individuelles mais en les reliant au collectif, car notre bonheur ne devrait jamais se faire au détriment de celui d’autrui. Le self-care et le care ne sont pas nés avec la psychologie positive mais avec les militant·es féministes, lgbtqia+, antiracistes… dans le but de lutter contre les violences et les oppressions systémique. Avec la psychologie positive, le self-care perd toute sa substance dans le seul but de faire du profit.

Le tarot ici ne fait pas exception et ce n’est pas pour décrédibiliser cette pratique mais bien pour amener une remise en question que je vous partage ces réflexions. Notre communauté est trop souvent polluée par le discours de la psychologie positive. Il serait bon de le reconnaitre et de travailler à une éthique de nos pratiques afin de nous prémunir des dérives de la psychologie positive et d’en préserver celleux qui nous consultent.

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